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Quand les bretons ont assassiné Bécassine!


Le 18 Juin 1939, alors que se tourne un film à son nom, la célèbre Bécassine est attaquée au musée Grévin par un commando formé de trois féroces folklo-nationalistes bretons. La pauvre est d'abord basculée à terre puis reçoit une trentaine de coup de marteaux. Sa tête éclate sous les mauvais traitements, son nez sera récupéré et gardé en trophée par les assaillants...

Si de nos jours le nom de Bécassine n'évoque guère plus que les sonorités entêtantes d'une chanson enfantine, la vive polémique qui entoura ce personnage de Bande dessinée tout au long du XXe siècle résonne bien étrangement aujourd'hui. Mais laissons là Chantal Goya et les statues de cire pour remonter aux origines du problème.

Bécassine s'inscrit avant tout dans son époque et son destin se confond avec celui de nombre de nos arrière grands mères. La France des années 1900 s'est vigoureusement relevée depuis la chute du Napoléon III, trente ans plus tôt. Après la honte de la défaite, le pays s'est modernisé, on vante maintenant la qualité et la régularité de ses productions industrielles. Les lignes de chemin fer que l'on pose depuis déjà un demi-siècle ont largement ouvert les régions les plus reculées. Des vagues de travailleurs venus toute la France rejoignent les usines des grandes villes.

Certains s'en plaignent dès la moitié du XIXe principalement pour des raisons d'hygiène, comme nous l'avions évoqué ici. Mais les frontières régionales ont fini par tomber. Il faut moins de 6 heures par aller de Paris à Nantes et à peine 4 heures de plus pour joindre Quimper! Peu à peu, les honnêtes citadins s'habituent à ces migrants encore vêtus de leurs costumes exotiques et parlant difficilement un mauvais français.

La bonne société s'amuse des tracas que rencontrent ces ruraux qui entrent difficilement dans le "monde moderne" et découvrent avec surprises les commodités que sont l'éclairage au gaz, les robinets ou le tramway.

​​La chose peut paraitre bon enfant aujourd'hui mais l'affront est déjà trop grand pour ne pas heurter la fierté de certains. C'est que les bretons représentent alors une communauté déracinée forte de plusieurs centaines de milliers de membres.

La nostalgie de la terre natale est un sujet populaire chez ces émigrés de première et de seconde génération. Les chanteurs bretonnants, tels Théodore Botrel ou Yann Nibor, remplissent les salles de Montmartre, tandis que les campagnes de dons au profit des pêcheurs de sardines armoricains marquent durablement les esprits. Le breton y est dépeint comme travailleur, courageux, bien qu'un peu naïf.

Attirées par les promesses de vie meilleure que dans les champs ou les sardineries locales, des générations de jeunes femmes quittent leurs provinces pour entrer au service de familles bourgeoises. Dociles et corvéables à merci, une partie d'entre elles ne reverront jamais leur Bretagne natale...

Mais revenons à notre héroïne. En février 1905, la presse enfantine n'en est qu'a ses premiers balbutiements quand apparait pour la première fois le personnage de Bécassine dans le 1er numéro de "La Semaine de Suzette".

Longtemps dominée par la très sage imagerie d'Epinal, la production d'illustrations pour enfants explose à la fin du XIXe siècle avec l'industrialisation des techniques d'impression. La forte baisse du cout de production permet bientôt de proposer des journaux de 16 pages pour un sou, soit le prix d'une seule image artisanale.

Les éditeurs parisiens se bousculent pour proposer des dizaines de titres. On peut citer le journal "L'épatant", une publication pour les enfants d'ouvriers aux gags rédigés en argot parisien (et qui verra les débuts des Pieds-Nickelés) ou encore "Cri-Cri", à destination des plus jeunes!

"La Semaine de Suzette" s'inscrit dans une démarche des plus religieuses et morales des éditions Gautier-Languereau, à une époque où la séparation de l'église et de l'état est l'objet de débats enflammés. Ce journal catholique est destiné principalement aux fillettes de bonnes familles: on y trouve des nouvelles, des jeux et bien sur de petites histoires humoristiques illustrées. La légende raconte qu'apprenant un désistement de dernière minute, Jacqueline Rivière, la rédactrice en chef, s'empressa de proposer une histoire inspirée de la dernière bourde de sa bonne, fraichement arrivée de Bretagne.

Voici donc l'événement qui mènera au drame que nous avons décrit plus haut:

Lors d'une réception, Bécassine se voit demander par sa maitresse d'amener les homards dans la cuisine. La jeune bretonne ne comprenant pas ce qu'elle doit prendre se voit donner pour seule explication: c'est rouge. Quelques instants plus tard, la maitresse retrouve assis dans la cuisine un colonel de l'armée, habillé d'un uniforme rouge.

​Le personnage n'était pas destiné à réapparaitre mais les jeunes lectrices de "La Semaine de Suzette" en demandent plus! En 1913, Caumeri reprend l'écriture des aventures de la petite bonne et de sa maitresse madame de Grand Air. Les premières histoires sont mordantes, presque sarcastiques. On rit facilement de cette petite bonne femme perdue dans un monde qu'elle ne comprend pas. Au fil des années, les jeunes lectrices en apprennent plus sur les origines de la jeune fille. Son village natal de Clocher-les-Bécasses est sensé se situé à proximité de Quimper, on y fait la rencontre de son oncle Corentin, tout droit sorti d'une carte postale folklorique. Les bretons y sont montrés particulièrement superstitieux, obéissant à des règles qu'eux seuls semblent comprendre. Bécassine est sotte ,nous apprendront ses parents, c'est parce qu'elle a un tout petit nez, c'est pour conjurer ce mauvais sort qu'il lui ont choisi le nom d'un oiseau à long bec...

​​Son costume, sa coiffe et ses sabots renvoient toute une population à la rusticité de ses origines. Son absence de bouche et son unique réplique "Ma Doue", mon dieu en français, choquent particulièrement les commerçants et les élus bretons. Tout juste peut on se réjouir que son handicap lui évite la réputation d'alcoolique qui colle toujours à sa communauté!? Au fil de la parutions des premiers albums, nombreux sont ceux qui expriment leur émotion face à la caricature. C'est dans ce climat que naissent les premiers mouvements folkl-autonomistes modernes.

Peu à peu, les scénarios s'étoffent et Bécassine s'impose finalement comme la première​

​ grande héroïne de bande dessinée. Elle participe à l'effort de guerre dans pas moins de trois albums puis voyage à l'autre bout du monde en ballon ou à dos de chameau. A la fin du premier conflit mondial, le monde à changé, Bécassine aussi. La petite bonne devient définitivement une femme de son temps, elle n'hésite plus à prendre l'avion et à conduire des automobiles. Les premiers produits dérivés voient le jour, Bécassine se décline en poupées, en figurines de bois ou en mousse de latex. Mais la publicité autour du personnage continue d'agacer la communauté pendant toute l'entre deux guerres. Les bretonnes en costume traditionnel n'en peuvent plus d'entendre "Tiens voilà bécassine" sur leur passage.

Au milieu de l'année 1939, à quelques semaines du début de la seconde guerre mondiale, des producteurs parisiens annoncent la sortie d'un film mettant en scène la célèbre soubrette. Jean Nohain, célèbre pour ses émissions radiophoniques pour enfants est au scénario tandis que Pierre Caron se charge de la réalisation. Le tournage dans les Côtes d'Armor est une première fois interrompu par une manifestation. La presse d'opinion s'empare de l'affaire et attise les sensibilités des nationalistes de Breizh Atao.

On évoque des scènes terribles, dont le caractère surréaliste échappe totalement à ses détracteurs. Bécassine, sous les traits de Paulette Dubost, y donnerait le biberon à... un porcelet! Tandis que les pommes de terres sont servis aux cochons et les épluchures aux bretons! ​

​Le crime est trop grand, les extrémistes bretons décident de réagir.​​

On évoque l'enlèvement de la comédienne mais l'affaire est jugée trop compliquée. Un petit groupe décide alors de s'occuper de la statue de cire du musée Grévin, exposée depuis le début des années vingt. Le 18 juin 1939, en plein après midi, le trio fracasse et détruit la pauvre Bécassine de cire au marteau. Tentant de fuir un gardien attiré par le bruit, les jeunes bretons seront arrêtés devant leur voiture par le directeur de l'établissement.

Prétextant ne pas parler français, les trois hommes passeront quelques jours derrière les barreaux avant d'être libérés.

Malgré les remous de la débâcle et le début de l'occupation, le film finira par sortir en septembre 1940 mais sera très vite interdit, face au tollé dans toute la Bretagne. Il faudra attendre 1992 pour qu'il soit restauré et proposé à un large publique.

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