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Dans les prisons de Nantes: Une chanson bretonne? Non! (Enfin pas tout à fait)

Saviez vous que la chanson rendue populaire par Tri Yann et Nolwen Le Roy n'est pas tout à fait nantaise et encore moins tout à fait bretonne? Le folklorisme moderne apporte parfois de belles surprises!

Qui n'a jamais fredonné la refrain de la ritournelle "Dans les prisons de Nantes , Lan digidigidan"? La chanson nous rapporte la légendaire histoire de ce condamné à mort anonyme, parvenu à s'échapper de sa cellule après avoir séduit la fille de son geollier. Une histoire nantaise!?

Et bien amis amateurs de Fest Noz, sachez qu'on vous a menti! La version que nous connaissons tous est en vérité... canadienne!

En cliquant sur le lien suivant https://soundcloud.com/dastumla/le-prisonnier-de-nantes, vous pourrez continuer la lecture de cet article en écoutant une étonnante version "traditionnelle" nantaise, enregistrée dans le Pay de Retz.

Apparue en basse-Bretagne au 17e siècle, les origines de cette chanson populaire restent pour le moins obscures. Si très peu d'éléments historiques subsistent, certains auteurs y ont vu l'évocation de l'évasion du cardinal de Retz en 1654. Ce frondeur, ennemi politique de Mazarin, avait été placé en résidence surveillée au Château des Ducs de Bretagne. Il réussira à s'enfuir à l'aide d'un cordage dissimulé sous ses vêtements. Mais la comparaison s'arrête là, ni fille, ni geôlier ne sont évoqués dans les "Mémoires" qu'il a laissé.

Il faut dire que la ville de Nantes compte de nombreux lieux d'incarcération sous l'ancien régime mais le plus célèbre et le plus ancien reste la fortresse de Bouffay.

Traditionnellement les civils condamnés à mort sont exécutés sur la place publique du marché de Bouffay, au pied de l'ancien chateau médiéval d'Alain Barbetorte. Lors de la destruction de l'ultime tour restante en 1848, le beffroi et l'horloge seront conservés puis transférés sur l'église Sainte Croix.

Mais revenons à nos chansons! L'étude rapide des répertoires classiques révèle l'existence de nombreuses chants sur le thème de l'évasion: ("La fille habillée en page", "Les prisonniers sauvés par une chanson") et à chaque fois, c'est un personnage féminin qui offre la liberté, quoi qu'il ne lui en coûte plus tard! Nous sommes donc face à un sujet régulier de la chanson populaire.

L'Histoire va alors prendre un virage inattendu et international!

Au milieu du XVIIIe siècle, les "Acadiens", descendants des colons français partis un siècle plutôt en Amérique du nord, sont brusquement déportés par les troupes anglaises lors de la 4e guerre inter-coloniale. Après plusieurs années de captivité dans des territoires appartenant à la Grande-Bretagne, dix mille d'entre eux arrivent à Nantes en attendant de pouvoir retourner vers le nouveau monde... Le texte de notre chanson va donc changer au grès des auteurs et des époques: on trouve aujourd'hui près de 70 variantes du refrain dans le grand ouest et plus d'une centaine au Canada et en Louisiane.

"La prison de Nantes" devient parfois la prison de Rennes, d'Avranches, de Marmande et surtout de Londres! Il est intéressant de noter qu'outre-Atlantique, la capitale anglaise remplace Nantes dans la plupart des versions recueillies sur les côtes, tandis que la version de la cité des Ducs de bretagne garde sa prédominance dans l'intérieur du pays.

En France, la chanson va poursuivre son évolution de son côté. Au début du XXe siècle, Théodore Botrel, Aristide bruant et de nombreux artistes de cabaret de Montmartre inscrivent "Les prisons de Nantes" à leur répertoire, sur des orchestrations bien différentes de celle que nous connaissons.

Il faut attendre l'après guerre pour que la vapeur s'inverse.

En 1958, Albert Morneault, un canadien passionné par ce patrimoine oral francophone publie un vinyle 33 tours devenu mythique: "Acadie et Québec".

Pendant près de dix ans, Morneault et son équipe d'ethno-musicologues ont patiemment recueilli 17 chansons folkloriques aux quatre coins du Quebec et du Haut-Brunswick. On y trouve les versions acadiennes de "Le Meunier Et La Belle", "Je Me Lève À L'Aurore Du Jour" et bien sûr "Dans la prison des Londres".

Pour cette dernière, Morneault est allé enregistrer un certain Alfred Morneau, de la lointaine région du Madawaska. Le disque va faire le bonheur des indépendantistes quebecois et des musiciens folks dans les années 60 mais la faiblesse de son tirage le rend rapidement légendaire.

En 1972, la chanteuse canadienne Louise Forestier reprend la chanson et en fait l'étendard de la cause indépendantiste quebecoise. "La prison de Londres" devient le symbole de l'oppression anglaise et de ce "Grand Dérangement".

C'est cette version musicale que les Tri Yann vont reprendre l'année suivante dans leur 45 tours "Johnny Monfarleau/ Les Prisons de Nantes". Dans le sillage du nouveau mouvement musical breton porté alors par Alan Stivell, les paroles sont rapidement modifiées mais l'élan nord-américain est toujours là

Les bretonnants allaient, sans le savoir, chanter et danser pendant quarante années, sur des rythmes d'Outre-Atlantique!

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Source: SHDPR, dastum44


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