Découvrez les véritables visages des Biscuits LU: Monsieur Lefèvre et Madame Utile.
Il y a quelques semaines, nous avons eu la surprise de découvrir par hasard de très rares photographies du couple fondateur des célèbres biscuiteries LU. Il est temps de revenir sur cette trouvaille nantaise imprévue!
Si la rédaction de nos articles nous amène régulièrement à creuser dans les plus obscures galeries de l'Histoire, force est de constater que les sujets nous parviennent parfois par de biens étranges moyens.
Nous ne surprendrons personne si nous vous dévoilons que l'auteur de ces lignes est un amateur de vieilleries en tout genre. Son bureau déborde de brochures, de médailles merveilleuses et autres figurines d'un autre temps. Depuis des années, cette "collectionnite aiguë" est patiemment entretenue par un chercheur paternel dont l'amour de la brocante et de la drouille dépasse les limites de l'imaginable. Lors des libations de la dernière nativité, entre la poire et la buche, nous avons donc eu le plaisir de recevoir un étonnant album de photographies anciennes en cadeau.
La couverture matelassée, typique de la fin du XIXe siècle, est richement ouvragée. Le travail du cuir est précis, coloré, révélant sans aucun doute la richesse de ses premiers propriétaires. A l'intérieur, les pages jaunies sont remplies des photos de baptème de bambins centenaires, de paysages mystérieux et d'un déjeuner sur l'herbe sous les rayons d'un soleil depuis longtemps éteint. Au cours des ages, de jeunes dessinateurs désoeuvrés n'ont pas hésité à laisser sur les clichés quelques moustaches humoristiques.
C'est à la toute fin de l'album, glissé entre deux pages de carton accueillant les portraits d'un couple de vieillards, que nous avons trouvé un premier indice. Seul document annoté du corpus, un petit faire-part de décès nous a permis de commencer nos recherches. Il s'agit de la nécrologie d'Eugénie Estelle Pauline Lefièvre, morte le 24 aout 1894 à Nantes.
Quelle surprise! Car si Eugénie Lefièvre n'est pas restée dans les mémoires, ce n'est pas le cas de son nom de jeune fille: Eugénie Lefèvre-Utile!
Saisis d'un doute, nous avons immédiatement vérifier les autres portraits toujours anonymes. Quel ne fut pas notre joie de découvrir que les portraits des deux vieillards cités plus tôt n'étaient autres que Jean-Romain Lefèvre et Isabelle Utile. Nous avions entre les mains un album de famille de la si célèbre maison LU, à qui l'ont doit tant de goûters salvateurs! Des portraits très rares et sans doute jamais publiés depuis un siècle...
Mais revenons un peu sur les origines de cette formidable aventure industrielle. Tout commence en 1846 lorsque Jean-Romain Lefèvre, jeune pâtissier âgé de 27 ans, quitte la Lorraine pour reprendre une petite échoppe située à Nantes. Jean Romain y vend des biscuits sec anglais réputé, les Huntley & Palmers mais aussi les recettes rapportées de son apprentissage rémois. Les flanneurs nantais ,déjà à la recherche de perpétuelles nouveautés, découvrent peu à peu de nouvelles saveurs, bien loins de la fadeur des productions d'alors.
Le 7 octobre 1850, Monsieur Lefèvre épouse Isabelle Utile, native du même village de la Meuse. La jeune femme, de dix ans sa cadette, le rejoint à Nantes dans ce qui deviendra bien plus tard la mythique maison "Lefèvre-Utile". Le couple rachète une boutique et la nomme "Fabrique de biscuits de Reims et de bonbons secs."
Leur pâtisserie propose des boudoirs, des langues de chat, des biscuits aux amandes; des gateaux luxueux, plutot "exotiques". Dans toute la ville, on vante les qualités de leur production. Rapidement le local d'origine devient exiguë et en 1854, en puisant dans les fonds familiaux, ils achètent une annexe au n°7 de la rue boileau.
Leur nouveau magasin fait plus de 150m2 et la décoration est particulièrement chargée. Les Lefèvre ne lésinent pas sur le cristale, les lustres, les boiseries et les moulures. Les riches clients qui entrent dans cette boutique haute-gamme sont servis à l'aide de magnifiques pinces dorées, dans une ambiance feutrée; qui n'est pas sans rappeler nos actuels cafetiers oscarisés.
La famille s'agrandit également et quatre enfants voient le jour: Ernest (1851), Eugène (1854), Eugénie (1855) et Louis (1858). Seuls les deux derniers survivront à leur première année.
La fabrique emploie quatorze ouvriers en 1880 et reçoit même la médaille d'Or de l'Exposition de Nantes en 1882. Malheureusement, Jean Romain Lefèvre meurt l'année suivante; laissant les rênes à son fils cadet âgé de 24 ans.
Fort de ses voyages dans les biscuiteries industrielles anglaises, Louis Lefèvre-Utile va se révéler être un génial innovateur. Il abandonne les fragiles emballages de papier et développe la distribution dans des boîtes de carton décorées, permettant d’emporter ses produits sans les casser mais surtout de les offrir! Anniversaires, déjeuners, gouters, ses biscuits étaient jusque là des produits de Luxe, ils deviennent des produits de choix! En 1885, il fait construire sur le quai Baco une manufacture de 2 000 m2, dotée des dernières technologies. Une énorme machine à vapeur et une armée de fours occupent alors cent trente ouvriers.
De son coté, en 1886 sa soeur ainée Eugénie épouse Ernest Lefièvre, futur directeur financier de la firme familiale. Le 1er février 1887, les deux hommes s'associent pour fonder officiellement l'entreprise "LU".
il faudra attendre 1888 pour voir apparaitre l'apparition des premiers "Véritables Petits Beurre de Nantes".
Bien que la recette soit plutot commune, tout véritable nantais en connait les secrets: 4 bords pour les 4 saisons, 52 dents pour les 52 semaines de l'année et 24 poinçons pour les 24 heures de la journée. Le succès est presque immédiat, il s'en écoule une tonne par mois!
Suivrons les "Pailles d'or", dont la garniture à la framboise sera pendant longtemps appliquée au pinceau, ou encore les "Petits écoliers" et leur gamin chocolaté immortalisé par Firmin Bouisset. Parfois, les gammes sont produites pour célébrer de grands événements comme le « Neva, biscuit russe », créé pour la visite du tsar en 1892; ou encore la « Gaufrette Iceberg», sortie après la seconde expédition en Antarctique du commandant Charcot en 1908.
Les photographies de notre album semblent avoir été tiré en ce tout début du XXe siècle. Eugénie mourut en 1894 à l'âge de 36 ans, laissant deux enfants en bas-age. C'est sa nécrologie qui nous avons découvert entre les photos de ses parents.
Isabelle Utile vécue jusqu'en 1922, dispensant avec soin ses petits conseils commerciaux.
Quand à Louis Lefèvre Utile, en chef d'entreprise avisé, il mènera ses biscuits jusqu'à la gloire internationale et ce, malgré les crises et la première guerre mondiale.
Au milieu des années vingt, il publiera un panflet intitulé "La Loire, un programme de destruction et d'infection pour la ville de Nantes". Il y fait part de son opposition totale au comblement du bras du fleuve passant entre son usine et le château et surtout de sa peur de voir disparaitre le charme architectural.Près d'un siècle plus tard, il nous est difficile de ne pas lui donner raison!
Louis Lefièvre s'éteignit en 1940 et la suite de est une autre histoire! La famille de Jean Romain Lefèvre et Isabelle Utile repose aujourdhui au cimetère Miséricorde de Nantes, véritable Père-Lachaise du grand ouest.
Difficile de retracer le parcours de ce lourd album avant son "achat de Noel" sur le marché aux puces de la place Viarmes. Peut être provient-il de l'hotel particulier des Lefièvre, situé avenue Camus et détruit en 1972 pour laisser place à l'un de ces quadrilatères "grand standing" qu'affectionnent tant nos architectes contemporains?
Nous travaillons encore à l'identification des dizaines de clichés restants, ce qui ne manquera de nous fournir de bonnes excuses pour revenir sur ce sujet croustillant.
Source: Musée Du chateau des Ducs de Bretagne, Musée du Chateau de Goulaine, wikipedia et biensure Stephane Pajot!
Un grand merci à Ghislain de La Gatinais et à Pierrick LB.